Le geste dans l’oeuvre musicale la musique et le mouvement
1] Le geste, un vocabulaire
« Au commencement était le rythme » dit ont, mais il me semble que cela serait plus complet si nous ajoutions : « Au commencement du rythme était le geste…»
Ce geste peut être instinctif, certainement codé et en tous les cas signifiant, il peut être intentionnel ou au contraire réactif. . . C’est de ce geste là dont j’aimerais parler tout d’abord
D’une certaine façon, le geste est la partie visible de nos sentiments, de nos hésitations, de nos troubles, de nos réactions les plus profondes. Une sorte de miroir visible d’une partie cachée de nous-mêmes.
A priori pas d’apprentissage pour ces gestes, de façon naturelle, nous finissons par connaître ce vocabulaire et sa signification.
Il y a en périphérie de nos actions, de nos travaux, qu’ils soient instrumentaux ou autres, tout un monde d’attitudes, de gestes qui font partie intégrante de notre langage, de notre personn lité. Certains de ces gestes seront faits en imitation mais même dans cette imitation, d’une certaine façon, c’est notre personnalité ou notre manque de personnalité qui s’exprime. Nous pourrions appeler ces gestes, le geste « inné » ou en tous les cas, des gestes nous appartenant en propre.
1.1 Le geste est à tout le monde
La force du geste, comme tout mouvement artistique, est qu’il ne finit pas, il ne clôt pas un discours, il en est de même pour la musique, la peinture, la littérature, même si la perception que l’on en a peut-être différente. Ne pas finir un discours est le propre de toute démarche artistique, une œuvre artistique doit rester une forme ouverte dans le sens qu’elle doit être préhensible par le spectateur, pour cela il est important quelle n’enferme pas en elle- même toute possibilité d’évolution chez chacun de nous.
Lorsque l’on parle du geste, celui-ci sensibilise, provoque une « réaction » c’est donc à nous, spectateurs, de finir ce mouvement. Le propre de l’œuvre d’art est de nous « changer » un peu à la sortie de la salle de spectacle, modifier un peu notre regard sur les autres et le monde. . .
Comme devant un tableau dans une exposition, le spectateur va devoir faire son propre travail de dé- chiffrage – défrichage. A la fois tout est dit dans le tableau, fini comme pour le geste et en même temps, cela, va fonctionner que si nous faisons une partie du chemin, cela est les cas pour tous les arts, mais le geste a cette capacité à suggérer, et à parler parfois plus directement que les autres formes d’art. Justement parce que très proche de nous tous, nous pouvons tous bouger, nous ne pouvons pas forcément tous jouer d’un instrument, peindre ou écrire, en tous les cas, l’apprentissage de celui-ci, s’il ne s’intègre pas dans notre propre vocabulaire de gestes peut faire blocage.
Le geste, « simple » simplement vécu et intentionnel serait d’une certaine façon la partie rêvée, d’une intention non réalisée et que chacun devra porter.
Je disais : « le geste appartient à tout le monde », à tout le monde d’en faire sa propre lecture. Nous ne partons jamais de rien, que ce soit l’artiste ou le spectateur. Le geste « inné » est la partie visible de nos premières intentions, c’est en cela qu’ils sont importants car précieux.
Le geste est le premier des rythmes que l’on a entendu sur terre, la marche, le rythme de notre respi- ration. Ensuite nous avons « fonctionné » en imita- tion de ces rythmes biologiques. Il faudrait pouvoir parfois revenir à ces notions. Apprendre à bouger avant d’apprendre à jouer, ou à l’inverse retrouver des sensations de mouvement, et de phrasé à tra- vers l’instrument. Quelque – soit le point de départ, le but est de toutes les façons, de penser les choses en un tout, il n’y aurait pas d’un côté le geste, dansé ou non et de l’autre la production d’un son.
1.2 Rapport entre le geste « inné » et le son
Que ce soit un rythme, un son instrumental ou un chant, les sons produits sont conduits par un mouvement, celui-ci est l’image du rythme ou du son rêvé par le musicien souvent inconsciemment.
Fredonner une chanson, siffler un air, et « malgré nous » notre tête bouge cherchant ainsi à donner un mouvement physique qui serait une des représentation possible d’un son imaginé ou rêvé ou en tous les cas, sa continuation physique. Un dessin imaginaire une forme . . .
Ce geste nous permettant de nous sentir « plus » dans la musique. Gestes rythmiques au départ et qui par la suite peuvent devenir plus « mélodiques », on accompagne la musique par un mouvement du corps ou une démarche plus souple. . . Chaque mouvement précédant un son sera toujours unique et original à priori. Chanter et s’inter- dire tout mouvement est quelque chose de quasi- ment impossible, dans ce cas précis, le mouvement n’est pas une sorte de préfiguration à un son, mais simplement une nécessité physique, pour prendre un appui permettant la production du son, un mouvement de bras pouvant aider à donner plus de « poids » à celui-ci. Mais finalement cette manifestation extérieur fait totalement partie du son produit.
1.3 Du geste inné au geste instrumental, geste expert
C’est à partir de ce vocabulaire existant (geste inné) que l’on va travailler, pour rendre ce geste expert.
Le geste expert de mon point de vue, étant une combinaison entre le geste inné dont on vient de parler et le geste instrumental, ou geste artistique exigé à la fois par l’instrument et le compositeur. J’ai bien conscience que le geste inné, est aussi influencé par le regard des autres, y compris à ce stade (jouer comme le prof. . .) mais quelles que soient les causes de ce mimétisme, il met en évidence certaines choses, qui de toutes façons, nous sont propre.
Dans ces gestes, il peut y avoir des gestes pour se cacher, éviter le regard des autres, ou au contraire des gestes pour s’affirmer, bref c’est toute notre attitude qui trouve ici une forme de représentation y compris derrière l’instrument.
Une des choses les plus importantes pour un interprète est de se « retrouver » dans la pièce, la faire sienne, c’est l’unique possibilité pour lui d’en com- prendre le sens, en tous les cas d’aller au plus près de celle-ci. Il ne s’agit pas de jouer la pièce mais bien d’en jouer.
Quels que soient les contraintes demandées par le compositeur, il nous faudra grâce à ce vocabulaire personnel et à travers lui nous retrouver, dans le travail demandé. Il s’agit là d’un élément primordial dans les différents outils déterminants la place de l’interprète, place indispensable à tout travail artistique et sans laquelle nous ne pouvons évoluer. . . Le geste « inné » a ici toute sa place.
Cela était évident avec Light Music de Thierry de Mey, probablement plus que dans toute autre pièce que j’ai eu à jouer car l’absence d’instrument révélait ce geste « inné », j’ai vraiment fait cette expérience de « se » retrouver, essayer de retrouver cette spontanéité, ce mouvement « intime » et es- sayer de le garder le plus longtemps possible tel quel.
Je ne pense pas que l’on puisse réduire le geste instrumental à un simple travail musculaire à la simple production sonore. Une grande partie de notre travail d’instrumentiste consiste à s’approprier le vocabulaire instrumental c’est ce que l’on appelle la technique instrumentale. Il faut bien se rendre compte que celle-ci n’est rien si derrière il n’y a pas un projet musical ou artistique. Dans ce travail du geste instrumental pur, le plus difficile est de donner à cette démarche une direction qui dépasse le simple jeu instrumental, c’est à cette condition que ce fameux geste instrumental, intégré dans une perspective artistique trouvera sa place.
Ce geste inné est une partie du geste expert ou instrumental, c’est dans cet équilibre que notre travail se fera, quel que soit le but à atteindre, jouer d’un instrument, danser ou même chanter. Ce geste « inné » est la base à partir de laquelle nous pourrons travailler et développer notre langage, ce geste fait partie de notre « carte d’identité » visuelle avec laquelle, il faudra composer pour avancer. Un geste instrumental cohérent sera celui qui prendra en compte ces deux composantes Inné – Expert. C’est à ce moment que nous pourrons parler réellement d’interprétation.
1.4 Du geste instrumental au geste inné
Prenons le problème dans l’autre sens : S’il s’agis- sait uniquement de « faire les notes » pour faire de la musique, ou de faire exactement le mouvement demandé pour danser cela se saurait ! La difficulté en tous les cas, il me semble, pour nous autre interprète est de nous retrouver dans le texte demandé, comme je l’ai dit tout à l’heure, de le comprendre dans le sens de : le prendre pour nous pour en- suite pouvoir le « révéler » le transmettre à travers notre regard, d’une certaine façon à travers notre histoire. Les techniques instrumentales, sont là pour rendre encore plus explicite cette intention originelle.
Nous pourrions dire que le geste inné appartiendrait à la famille de l’instinct, et le geste expert à celle de l’intelligence… par contre ce sera au geste expert « d’encadrer » le geste « inné »..
– Le geste expert, le geste instrumental, enseigné et appris, la frappe d’un instrument, le port d’un archet, la position des mains sur un clavier, celle des épaules pour les instrumentistes à vent etc. Ce geste-là, mais aussi cette position (dans ce cas, la position fait partie du mouvement musical) font partie des choses apprises pour reproduire un effet sonore, acoustique voulu.
C’est à ce moment que le travail d’apprentissage commence, et encore une fois il ne peut réellement ne commencer que si l’on prend en compte tout ce dont on vient de parler à propos du geste inné et des interactions qu’il y a entre les deux, l’impossibilité de les séparer totalement.
Nous pouvons malgré tout essayer de comprendre la part du geste expert, instrumental. Celui-ci pour- rait être réductible à des notions de feedback dont je parlerai tout à l’heure, et donc nous pourrions nous approcher de ce qui décide ce geste, sachant qu’une partie sera toujours plus instinctive que ré- fléchie.
Je ne pense pas qu’il puisse y avoir un geste « objectif », strictement mécanique au sens le plus rigoureux du terme. Une chose apprise même répétée à l’extrême sera toujours dépendant du moment. Même dans l’aspect mécanique il y aura une partie de notre personnalité plus ou moins révélée.
Il me semble difficile, de penser un mouvement uniquement de cette façon, à priori, celui-ci tend vers une idée « artistique » et donc fait appel à d’autres paramètres qui ne sont pas tous quanti- fiables et par contre tous modifiables en permanence. C’est à mon avis sur ce point que nous nous séparons du geste sportif qui lui recherche uniquement une efficacité physique, un rendement, quelque – soit les conditions, on peut imaginer qu’il y a un geste optimum, référent et permanent par exemple pour une course et ce quelle que soit la salle, le stade, ce serait pour moi le geste « objectif ».
Aussi précis que soit le geste, nous ne pouvons imaginer reproduire à l’extrême identique un mouvement, en tant qu’instrumentiste. Nous tendons vers, mais c’est de l’ordre de l’asymptote, nous ten- dons vers sans jamais y arriver, c’est pour cela qu’il nous faut travailler et recommencer ce travail quotidiennement. En même temps ce travail devra être fait avec toujours un peu de recul, nous avons bien sûr ce travail « mécanique » nécessaire, mais celui- ci n’aura d’intérêt que s’il se fait en rapport et en accord avec notre propre respiration, notre propre morphologie. Notre ambition musicale, sonore.
2] le geste, son apprentissage
2.1 Apprentissage du geste expert- instrumental
Si l’on revient au geste instrumental, lorsque l’on donne pour la première fois des baguettes à un jeune élève, nous avons de tas de conseils à prodiguer, les « grandes lignes » de ce que l’on pense être la meilleure façon d’appréhender un geste instrumental, de lui faire « gagner du temps ». Même au tout début de cet échange, malgré tout nous voyons immédiatement des différences. Différences de comportements, d’interprétations, comme dans tout enseignement. On se rend compte à ce mo- ment, que rien ne peut être réductible à l’extrême, à de simples conseils mécaniques aussi précis soient ils et d’une certaine façon heureusement !. Reproduire à l’identique un geste, un son, d’une façon absolue, reviendrait à retirer à l’interprète d’une certaine façon, sa place en tant que acteur d’une interprétation.
Lorsque l’on parle de la main droite ou la main gauche par exemple, le problème est moins d’ordre musculaire que cérébral, assimiler le geste, le com- prendre met en marche tout un attirail de para- mètres tous difficilement déchiffrables. . .
C’est le problème lié à toute transmission, celle-ci passe naturellement par un « décodage » individuel permanent et cela y compris pour le geste.
Dans le cas où nous avons à reproduire un son demandé, notre travail sera de faire en sorte que celui-ci soit conforme à ce qu’à la fois le compositeur attend mais aussi à ce que l’on en attend nous – même, un certain plaisir, une certaine dé- couverte. C’est pour cela qu’il est essentiel de pen- ser ce mouvement dans une globalité et non dans une succession de petites contraintes (musculaires, acoustiques). Parlons plutôt de mouvement que de geste, celui-ci (le geste) est finalement la conséquence d’un choix de mouvement dont l’origine est là encore rêvée par le compositeur ou l’interprète.
2.2 Le mouvement est le son – mouvement musical
Le mouvement est ce qui préfigure tous les modes d’expression artistique, on est dans la suggestion pure et le rêve. Lorsque l’on regarde un pianiste, c’est le mouvement du bras qui « porte » la phrase musicale, le poids des bras, leur mouvement alors que la plupart du temps, nous sommes obnubilés par les doigts. . .
Nous pourrions dire que le travail des doigts fait partie un peu plus de la famille des gestes au com- bien ! experts et le mouvement des bras appartiendrait à la famille des mouvements un peu plus innés, cela n’est pas tout à fait exact mais en même temps pas tout à fait faux. Une façon de s’asseoir, un mouvement d’épaule, un déplacement du bras tout un tas de contraintes devant lesquelles, le musicien aura dû faire face et cela pas seulement devant un piano. Lorsque l’on déplace le bras pour serrer la main de quelqu’un ou faire un salut, tous ces gestes quotidiens restent et sont intégrés aux mouvements des bras devant un piano, même si ceux – là n’ont pas du tout la même ambition, ce vocabulaire commun est bien réel.
Ce sentiment du mouvement est devenu réelle- ment concret pour moi avec light music, car il fallait s’écarter complètement de l’instrument, l’oublier, ne plus en avoir.
L’instrument captation permet une certaine liberté qui en général nous fait défaut en tant qu’instrumentiste, comme je l’avais dit, nous sommes dans le rêve tant que l’on ne touche pas d’instrument. . . Par exemple, lorsque je veux jouer un accord au marimba, je prends mes baguettes et tant que je ne touche pas l’instrument, je peux rêver le son que je souhaite, sa direction. . . Une fois que j’ai joué c’est le concret qui est là et parfois bien là avec son lot d’insuffisance (pas assez de son, pas assez de résonances) etc.
Le fait de ne plus avoir de contact « rassurant » avec l’instrument, nous force à aller plus loin dans le rapport au geste. Le son comme nous l’avons vu, est en quelque sorte la finalité du geste, par là même il devient le but à atteindre dans le cas du feedback artificiel, celui-ci nous pousse à penser le son comme une forme, que l’on « sculpterait », chaque geste doux ou sec, anguleux, rythmique, ou autre nous oblige à penser le son comme une forme et donc penser celui-ci dans un autre dimension. Un nouveau langage (c’est le cas dans Light) et une « nouvelle » forme, une nouvelle façon de rendre une phrase, un instant.
Comme vous avez pu le voir lors du concert du 15 Mars, il s’agit en fait d’une captation vidéo. Nous disposons dans une salle noire 4 projecteurs latéraux, une caméra, un écran et un G5 en surchauffe avec Christophe Lebreton derrière. . . Lorsque nous mettons les mains dans le faisceau lumineux ceci est « lu » par la caméra et transmis à l’ordinateur qui lui-même va diviser l’information en 2 le son d’un côté et l’image d’un autre. Donc nous pouvons voir sur l’écran les mouvements des mains avec un traitement de l’image et nous pouvons aussi fixer ce mouvement sur l’écran.
Je me trouve alors, devant une sorte d’échiquier virtuel et je déclenche suivant la partie de la pièce des événements sonores, que je peux ensuite modifier par le geste. On se rend compte des dynamiques que l’on peut donner, et des mouvements que l’on peut y associer.
Pour ce qui est de Thierry, je connaissais son travail à travers quelques pièces toutes autour du geste et lorsque nous nous sommes rencontrés pour ce pro- jet, il m’a simplement demandé de bouger !. Bouger signifiait alors, trouver un vocabulaire, un lexique de gestes que l’on aurait à travailler et mettre en forme par la suite. Ce qui était important pour Christophe et moi était que Thierry avait une idée de la forme de sa pièce très précise, ce qui est in- dispensable dans ce genre de production où l’on risque si l’on a pas de cadre de travail précis d’aller dans tous les sens c’est-à-dire nulle part ce qui est parfois le cas avec les nouvelles technologies. Cette forme était pour nous une forme de contrainte positive.
Thierry avait des idées très précises de mouvement et de leur écriture, (il avait déjà écrit beaucoup pour le geste, Silence must be pur chef solo dont on parlera plus tard et musique de table pour 3 musiciens – Musique de table est une sorte de « ballet pour les mains »), il fallait donc, comme une sorte de danseur, que j’exprime avec les mains des choses que je fais toujours à travers l’instrument. . . Je me retrouvais donc à essayer de comprendre ce qu’il « entendait » et, de mon côté, je lui faisais des propositions.
Quel que soit le projet, les places respectives Compositeur – Interprète, font partie des bases de travail indispensable à sa réalisation.
Ce qui m’apparut différent dans ce cas, car la place de l’interprète est toujours présente quel que soit le contexte esthétique et l’époque c’est l’espace pro- curé par l’absence d’instrument, cela m’enlevait d’une certaine façon le côté rassurant ou en tous les cas reconnu de celui-ci.
En même temps que nous mettions en forme notre « vocabulaire », je prenais conscience de la notion du sens du mouvement, sa signification, son poids. Je me suis rendu compte que j’en parlais, avec mes étudiants depuis très longtemps, moi-même dans mon travail, j’étais en permanence dedans mais grâce à Light Music, j’avais devant moi l’outil pour mettre tout cela en évidence. Je retrouvais avec d’autres contraintes, mes intentions d’instrumentiste (poids du son, élan de la phrase, respiration etc). En tant qu’instrumentiste et souvent sans le savoir, nous développons tout un vocabulaire de gestes. Nous ne nous en rendons pas compte car ces gestes n’ont à priori pas de rapport direct avec l’instrument. Ces gestes « périphériques » sont à priori non identifiables en soi puisque assujettis au geste instrumental.
La chose qui s’est passée avec Light c’est que justement sans instrument, ou plutôt avec un instrument virtuel tel que celui-là, tous ces mouvements plus ou moins conscients se sont révélés, comme identifiés grâce à lui.
Nous pourrions imaginer qu’entouré de toute cette électronique et d’une partition, nous serions complètement instrumentalisés, après la contrainte instrumentale (classique), à laquelle nous avons ajouté celle de l’électronique (sous forme de bande passante ou live électronique, interactivité. . .).
Ici, avec cet instrument électronique donc à priori totalement contraint nous pourrions nous sentir complètement instrumentalisé … C’est l’inverse qui s’opère, au contraire cette captation nous per- met de retrouver et de donner du sens à nos gestes les plus simples, les plus enfantins.
2.3 Le geste, comme élément constitutif d’une pièce, composer pour le geste
Le geste solo est déjà de la musique, du son, même si rien n’est entendu, un geste doux son- nera comme un son feutré, au contraire un geste court et rythmique sonnera comme quelque chose de clair, court et précis. Le geste est décidément, le « rêve » de l’instrumentiste.
Nous en avons une représentation claire dans la pièce de Thierry de Mey : Silence must be écrite pour un chef solo.
L’idée de faire « oublier » l’instrument est une vieille histoire qui d’une certaine façon, se concrétise ici. . .. être « fabriquant de son » nous oblige à penser ce geste en amont et donc : d’où, vient-il de quelle partie du corps, repenser le son avec son « habit gestuel » . . .
Finalement, penser le son que l’on recherche, comme une danse et réciproquement, penser la danse comme un son à faire entendre, à faire dé- couvrir. . .. Même si cela peut être du silence.
2.4 Mise en évidence du geste en lui- même dans une pièce
Nous avions imaginé avec Chistophe de mettre en évidence une image miroir d’une pièce pour percussion.
L’idée de départ était de mettre en évidence tout ce qui préfigurait le son, l’intention de l’interprète. Ce travail nous a permis de nous rendre compte des difficultés d’une telle démarche. Pour différentes raisons que Christophe expliquerait mieux que moi, il n’a pas été possible d’avoir un rendu clair, la difficulté venant principalement de la rapidité des gestes qui pour la plupart trop rapides ne laissaient pas le temps à la machine de mettre en évidence chacun d’entre eux, nous obtenions une sorte « de bruit blanc ». Il s’agit en fait d’un problème de visualisation des mouvements, la persistance rétinienne empêchant cette lisibilité.
L’idée première était de révéler l’avant son. . . et en- suite de pouvoir ce servir de cette captation pour faire un travail autour de cela, par exemple et cela fonctionnait très bien, en amplifiant par un « souffle » le mouvement et ce dans un certain tempo, il était possible de jouer virtuellement des instruments et d’entendre une sorte de « vent », de « souffle ». Dès lors il serait imaginable de travailler à partir de cet effet sonore, nous pourrions imaginer une pièce complètement écrite à partir d’un geste instrumental exploité sans ou avec l’instrument. Beaucoup de travaux vont dans ce sens en ce moment.
3] Autour du feedback
3.1 Interactions Geste / Son, Feed- back. . .
Comme je l’ai déjà dit, je ne pense pas que l’on puisse réellement dissocier le geste d’un son souhaité, ce dernier se trouve déjà dans l’intention du musicien. Le geste instrumental se focalise sur un but immédiat : produire du son. Si je prends l’exemple de la caisse claire, je vais me concentrer sur le mouvement du poignet, la prise de la ba- guette, la position des doigts et la frappe sur la peaux. C’est ce qu’en général nous faisons pour jouer de la caisse claire. Malgré tout, ces mouvements ne sont qu’une partie du mouvement nécessaire à la production du son. Tous les autres gestes « innés » eux aussi vont fonctionner, la place du bras, le poids du bras, le mouvement de celui-ci, le balancement du corps. . .
Je me rappelle, d’une séance d’échantillonnage sur un vibraphone. C’était pour une pièce qui est de- venu un « tube » maintenant qui s’appelle Losing Touch pour vibraphone et bande d’Edmond Cam- pion. Edmond voulait pouvoir faire une bande à partir principalement de sons de vibra. Il fallait donc échantillonner un vibraphone, pour cela il fallait que je parcoure plusieurs fois toute la tessiture de l’instrument avec des nuances différentes en précisant les hauteurs. Edmond de son côté mis à part, quelques traits que je devais faire pour la bande, voulait se servir d’un vibra virtuel pour celle-ci.
Je me suis donc vu jouer pendant près de deux heures une à une toutes les lames du vibraphone, et c’est la seule fois de ma vie où toute ma concentration allait uniquement sur le côté mécanique de mon mouvement, de façon à être le plus rigoureux possible sans aucune faiblesse ni dans la frappe ni dans mon mouvement. Le but n’était pas de créer un son dans un contexte musical comme on le pense généralement mais uniquement produire du son de vibraphone déconnecté de tout contexte artistique et donc dans un contexte purement mécanique. Cela m’a donné à réfléchir sur tout le travail entre jeu et perception. . .
3.2 Différents types de feedbacks
3.2.1 Feedback mental, geste imaginé, geste rêvé
Quelles sensations a t’on lorsque l’on pense un geste dans l’absolu, sans instrument, un peu comme un sportif qui fais sa course dans sa tête. . . C’est vraiment à cela que m’a fait penser ce travail d’échantillonnage.
En quoi le ressenti du geste imaginé diffère du res- senti du geste réel ? Nous savons que tous les spor- tifs font cela, A quoi cela sert-il, pour quel rendu ? Ce geste est, d’un certaine façon pour nous instrumentiste la part du rêve dont je parlais tout à l’heure, nous pouvons rêver un geste, un mouvement, cela va nous permettre d’aller probablement plus loin que si nous faisons continuellement ce geste dans le réel, à force de répétitions sur l’instrument, nous risquerions de perdre un élan. Penser à l’envers voir le mouvement et le rêver peut tout à fait se faire, c’est la place de la suggestion dans tout mouvement artistique. à la différence du geste sportif qui lui va rechercher comme nous une efficacité de rendu mais avec un but totalement différent, d’un côté la performance technique prime, alors que de l’autre la technique est directement au service d’une intention artistique, même si dans le travail, nous retrouvons ce côté « répétition » et travail d’un mouvement. C’est la seule comparai- son possible avec le geste sportif qui en lui-même est une finalité alors que pour le musicien, ce n’est qu’un moyen.
La contrainte du réel, le manque d’agilité, de souplesse ou de travail, nous empêche parfois de réaliser un son, une interprétation. Si l’on reste sur notre instrument, nous nous retrouvons toujours devant les mêmes contraintes physiques et elles nous em- pêchent parfois d’avancer musicalement, pire par- fois elle modèle notre propre interprétation. Il est donc important de pouvoir imaginer non pas les gestes mais les phrases musicales celles là même qui entraîneront ces gestes instrumentaux. Même si cela est malgré tout une des composantes de l’interprétation (la contrainte instrumentale), le jeu de l’interprète, son ambition est de s’éloigner le plus possible de l’instrument simplifier au maximum son approche quelque soit celui-ci, lui redonner sa place d’origine d’instrument – outil :
Instrument : objet brut ou fabriqué utilisé pour produire des sons à des fins musicales.
3.2.2 Feedback gestuel, geste instrumental, tou- ché de l’instrument
La place de l’instrument dans notre geste, sa façon de sonner, de répondre à une attente. Com- ment cela influence notre jeu (mouvement du bras, poids du geste, rebond de l’instrument) ? De quelle façon, ces éléments ont un impact sur le son, et réciproquement ?
Ce feedback est le résultat d’un travail de tous les jours, au départ, nous fonctionnons sur des bases claires et précises, méthodiques : positions, mouvements techniques, production du son et des nuances, soit les bases de ce que doit être une ap- proche spécifique et technique pour un instrument.
Plus on avance plus on se rend compte que ces bases ne sont rien, sans une approche musicale, en- tendre un son avant de le jouer, se « débrouiller » pour que l’on trouve en général soit même, sa propre position, et au delà de cela, sa propre tech- nique. Ensuite c’est tout le travail quotidien, familier qui permettra de définir ce feedback, celui- ci évoluant lui-même avec l’âge, l’expérience etc. C’est tout le travail du son « entendu ».
Faire un crescendo instrumental aux timbales par exemple, c’est bien plus que monter le son. Cela souligne un mouvement musical qui passe bien en avant le crescendo lui-même, même si finalement nous faisons un crescendo. . .
Il y a aussi le geste « après » le son, le geste instrumental, ne s’arrête pas à la seule production d’un son, c’est pourquoi souvent les instrumentistes font des gestes après avoir joué, ce qui n’est pas une « coquetterie » de soliste mais au contraire la fin d’un mouvement qui va au-delà de la simple production sonore. Le geste à sa propre vie indépendamment du son qu’il produit, le phrasé du geste est la plupart du temps en écho du phrasé sonore.
3.2.3 Feedback sonore
Influence du son d’une salle sur le geste, l’influence de l’environnement sonore : Il est certain, que ce feedback qui peut être une acoustique spécifique de la salle influence l’interprète, il est du même ordre, en tous les cas, il se situe à la même place que le feedback gestuel, ici le différentiel se situe entre un son rêvé et un son obtenu dans une salle. La salle dans laquelle on joue influence obligatoirement l’interprète, jouer une pièce à St pierre de Rome et la même pièce dans un théâtre entouré de pendrions obligera le musicien, à imaginer une autre interprétation, soit plus lente, soit au contraire plus vive. C’est la même chose pour l’orchestre.
Le mouvement, la façon d’obtenir le son ne changera pas beaucoup mais par contre, celui-ci étant plus long grâce à la réverbération naturelle, il nous faudra adapter le tempo et d’une certaine façon, jouer, « avec « la salle. On pourrait comparer cela aux différences d’interprétations Piano / Clavecin.
Même si cela est là encore un peu différent, nous pourrions avoir les mêmes différences d’interprétation entre par exemple la même pièce de J.S Bach jouée successivement au clavecin et au piano. Le clavecin, grâce à sa facture et sa puissance sonore spécifique, ne pourra utiliser les mêmes « jeux » d’interprétation qu’au piano. Le clavecin qui est plus clair, plus transparent de couleur, aura la possibilité de jouer de façon plus rythmique, avec des ornementations plus « travaillées ». Le piano lui avec sa sonorité plus large pourra se permettre de prendre des tempos un peu plus lents et donner une interprétation plus dans les timbres que dans les rythmes.
3.2.4 Feedback artificiel
C’est le feedback que l’on rencontre dans les pièces interactives et où il n’y a plus de feedback tactile. Celui qu’apporte la technologie dans les oeuvres interactives. Dans light music, le geste n’a plus de feedback tactile, l’instrument est d’une certaine façon dématérialisé. . .
Est-ce que l’absence de feedback tactile, de résistance physique, de poids, etc. modifie les choses ? Comment gère t’on des feedbacks artificiels qui peuvent être uniquement sonores et/ou visuels ?
Le fait que l’instrument soit virtuel, ne signifie pas qu’il n’existe pas, il est certes différent, mais il ap-porte avec lui toute une série de contraintes bien réelles. Un instrument quel qu’il soit est un espace physique concret. Que ce soit un violon, une flûte, ou autre, nos mouvements s’inscrivent dans un es- pace précis, c’est la même chose d’un point de vue espace pour light, je me retrouve devant un échiquier virtuel, une sorte de lieux très défini dans lequel il va falloir que j’évolue. D’un point de vue tactile, bien sûr les choses sont différentes, c’est à ce moment qu’intervient, l’idée du geste initiateur d’un son, il faudrait pouvoir imaginer tous les instruments de musique comme celui de light music, ne penser que l’intention, et « négliger » l’instrument. J’essaie de construire un geste instrumental comme sur un instrument classique, en prenant en compte toutes les contraintes que cela implique. Pour moi c’est le même jeu que de jouer du marimba ou de la caisse.
C’est là toute l’ambiguïté de ce travail, nous pour- rions le comparer au travail d’une pièce mixte. Notre souci en tant qu’instrumentiste et de jouer de cette électronique, de l’imaginer comme un partenaire de musique de chambre.
D’un point de vue technique c’est parfois du play- back, mais finalement, c’est beaucoup plus que cela. Il faut respirer la bande dans ces moindres indications, ses moindres hésitations et essayer de les intégrer dans notre jeu. Il est évident que le travail avec électronique influence notre propre jeu instrumental. Nous ne jouons pas de la même façon, notre référent dans ce cas est la bande et ce qu’elle apporte comme dynamiques, contrastes etc.
Nous pourrions faire dans ce cas un parallèle avec le jeu des timbales à l’orchestre. J’ai été pendant 15 ans timbalier solo à l’ensemble orchestral de Paris. La place des timbales dans ce genre de formation a une place prépondérante son jeu influence celui de l’orchestre, mais la réciproque existe aussi. Par exemple dans la 7 ème symphonie de Beethoven, lorsque les timbales jouent les fameuses siciliennes thématiques, il faut bien se rendre compte que l’on intervient en amplifiant un mouvement qui a commencé depuis longtemps par le soutien des timbales à ce caractère très Beethovenien.
A ce moment, même si on n’est pas dans une situation de playback, il faut bien savoir que la fa- çon dont nous allons jouer va être complètement influencé par l’interprétation dont en aura fait l’orchestre auparavant. Cela ne signifie pas pour au- tant que l’on disparaisse en tant qu’interprète mais que l’on tienne compte du son produit, du mouvement engendré par l’orchestre. Il nous faudra à la fois nous fondre dans ce mouvement tout en donnant le caractère propre à l’instrument dans ce passage. . . . . .
C’est un élément important de notre démarche devant un instrument comme light, nous avons un univers et c’est à nous de lui donner un relief particulier, une intention propre, plus on avance, plus on se rend compte que tout cela est de moins en moins virtuel. . .
De plus cet instrument « virtuel » nous donne exactement toutes les indications concernant la façon d’entendre du compositeur, c’est en quelque sorte la « marque de fabrique », une certaine idée du son, du rythme des équilibres. . . à nous de jouer dans ce cadre.
Ce qui est intéressant c’est ce va et vient perma- nent entre le visuel et l’auditif, chacun de ces sens s’appuyant sur l’autre pour donner une sensation, un sentiment.
4] Transmission
4.1 Démarche pédagogique
J’ai du mal à imaginer ce genre de démarche ar- tistique dans un seul sens, celui de la création, il me semble indispensable d’essayer le plus possible lorsque cela s’y prête de trouver un lien pédago- gique autour du projet initial.
4.2 Reconnaître un geste
Nous avons tous chez nous, un répertoire de gestes « initiaux » qui à priori n’ont pas besoin de résonances concrètes. Le froid, le chaud, l’attente etc pourraient être joué par différentes personnes différemment et être « entendu » de la même façon.
Si nous demandons à un enfant de mimer avec ses mains : Je vole. Il va faire un geste qui va correspondre à ce sentiment, sur l’écran, va res- ter cette trace, une sorte d’élan. Cette trace ne re- présentera ni un oiseau, ni un enfant en train de voler mais l’expression de sa représentation pour l’enfant, après quelques essais une fois la découverte passée, l’enfant se laissera aller et donnera le sens qu’il souhaite et verra le résultat imprimé sur l’écran, geste probablement plein d’énergie et de sens, ce mouvement qu’il viendra de faire sera ce que procure en lui l’idée de voler et au regard de ce qu’il verra sur l’écran il lira : Je vole.
Nous pourrions ainsi imaginer un apprentissage de la lecture de « formes abstraites ». Souvent les enfants en regardant un nuage ou les branches d’un arbre imaginent plein de choses. Je pense que nous pourrions là aussi rebondir sur cette faculté d’imagination de l’enfant et en profiter pour construire une pièce avec eux et l’instrument Light-music.
L’idée est de travailler avec des enfants sur le contrôle d’un geste, sa direction et surtout sa signification. à l’aide d’un vocabulaire simple et que tout le monde connaît, nous pourrions imaginer établir pour chaque enfant une sorte de lexique individuel. Par exemple nous pourrions partir d’une liste de mots, mots qui seraient, proposés par les enfants eux-mêmes et que l’on essaierait de « jouer » avec cet instrument. Quels que soient les mots choisis, nous aurions une liste de mots « standards » nous permettant de poser les bases d’un vocabulaire gestuel et à chaque fois original. Ensuite la deuxième étape serait de pouvoir écrire cela et ainsi écrire des fresques que l’on pourrait ainsi rejouer et même développer, en gros raconter une histoire.
Nous avons fait cette expérience avec de jeunes danseurs et il était intéressant de voir qu’en de- hors du contexte « travaillé », les gestes ne venaient pas comme cela, autre espace, autres regards. Nous pouvions lire les hésitations. En effet à la différence avec un geste silencieux, ici, chaque mouvement est sonore et donc sa signification est décuplée. Dans ce cas, le danseur ne bouge pas sur du son, son geste est le son. C’est, un domaine qui est assez simple pour nous instrumentiste mais pas simple du tout pour un danseur. Je pense que si chaque danseur avait cette idée de « jouer » la musique sur laquelle il danse au sens strict du terme, le poids du geste, et sa signification seraient complètement différents.
4.3 Passerelles réalité contemporaine – réalité historique
Toutes ces idées de transmission autour des productions contemporaines me semblent essen- tielles, c’est un des moyens les plus évidents pour que ces recherches s’inscrivent dans une réa- lité contemporaine d’essayer de travailler autour en utilisant les nouveaux moyens technologiques. Beaucoup de choses sont déjà faites dans ce cadre, à partir de nouveaux outils, mais ici, il ne s’agit pas que de nouveaux outils mais bien d’une pièce rêvée par un compositeur avec sa vision des choses et son propre langage. Il a fallu à Christophe intégrer cette donnée de façon à y répondre et finalement construire ce nouvel instrument. Un nouvel outil qui en lui-même avait déjà une certaine culture et de nombreuses contraintes et d’infinis développements potentiels. Pour les jeunes qui ont joué avec light music, immédiatement l’idée de cadre est apparue avec son lot de contraintes et inversement de liberté et de découverte ou de redécouverte de quelque chose de plus profond, plus intime, encré dans notre histoire et notre culture.
D’une certaine façon, c’est retrouver un peu nos racines historiques pour ce qui est de l’histoire de la musique occidentale et mondiale . . ..
Si je prends J.S Bach, un des compositeur clé de notre histoire musicale.
Le mouvement, le geste musical chez Bach est, omniprésent dans toute sa production sans parler des suites de danses. . ..
La danse dans les musiques traditionnelles et là je ne parle pas que de musique occidentale, est une évidence, l’immense majorité de ces musiques sont là à l’origine pour « faire danser » la structure même des musiques, les instruments ont été pensés dans cette optique. . . C’est pourquoi le geste du danseur, mais aussi celui du musicien sont en ac- cord et pour nous c’est toujours quelque chose de fascinant car les rythmes les plus complexes (qui nous demandent une concentration et un travail énorme) sont joués dans ces pays à la fois bien sûr par imprégnation mais aussi et beaucoup grâce à la danse et au mouvement.
Comprendre une phrase musicale par le geste, aller au bout d’une phrase, au bout du geste est le travail commun qu’il y a entre un musicien et un danseur.
En musique baroque, dans certaines danses, les points d’appuis, les temps forts sont en haut, cela nous permet de mieux cerner la façon dont nous allons nous y prendre instrumentalement, temps courts temps longs..
4.4 Parallèle temps et mouvement
Deux choses sont essentielles dans l’interprétation (le mouvement et le temps) toutes les musiques sont dans ces deux mots, mots que l’on peut développer à l’extrême mais qui auront la même signification :
En jazz ou Rock : feeling, groove, « ça tourne », « ça balance », dans les musiques traditionnelles, nous retrouvons sous différentes formes cette notion de mouvement et de temps parfois par le biais de la parole (musique Indienne) dans lesquelles l’élève doit dire exactement et précisément avec les bonnes intonations ce qu’il veut jouer avant de le faire. . ..
Même si trop souvent nous oublions ces termes en musique contemporaine, notre travail est de les ré- investir pour que justement cette musique contemporaine mais je préférerai de parler de démarche contemporaine s’inscrive dans cette logique historique. . . (pas de génération spontanée..)
Tout cela pour dire que la musique a toujours, et de tout temps et partout dans le monde dans la plu- part des cas a été pensé au début comme un sup- port à une danse. Se rendre compte aujourd’hui de l’importance du geste dans l’interprétation est un peu étonnant au regard de notre histoire, comme quelque chose que nous aurions complètement oublié et que l’on retrouverait finalement, une sorte de boucle révélée par ces recherches.
Ce qui serait intéressant, de savoir, c’est pourquoi à un moment donné, les choses se sont dissocier en occident ?. Pourquoi somme nous passés de la « suite de danses » à la sonate chez J.S Bach ?
Dans ce sens, l’évolution même des termes musicaux est intéressante : entre un presto chez Bach et un presto chez Beethoven, la signification même des mots a considérablement évolué voir même changé. . .
Presto à l’époque Baroque signifiait « prestement », à aucun moment il y avait de référence à un quelconque tempo… (le métronome n’existait pas). Chez Beethoven Presto est devenu un terme signi- fiant rapide, on a tout simplement laissé en cours de route le caractère, du terme et tout ce qui allait avec prestance, regard, attitude.
Cet exemple est un parmi tant d’autres et montre bien cette évolution, cette séparation progressive entre geste et mouvement, qu’il soit dansé ou non et musique (son).
Nous sommes passés d’un langage faisant réfé- rence à une attitude, à un langage faisant référence à une rapidité.
Du mouvement (caractère des danses, Bourrées, Chaconnes, Allemandes et autres), au mouvement vitesse, cette mutation s’est accompagnée d’une certaine perte du sens même de la signification d’origine.
L’Allemande est devenue Adagio, la Sarabande un largo, le Menuet un scherzo ( Le Menuet est la seule forme qui a été conservée ensuite dans la période classique . . .
Ceci montre comme je le disais l’espace qui s’est creusé entre mouvement et tempo au fil des an- nées et des siècles, espace qui a entraîné aussi un regard différent sur la musique. Un regard parfois plus technique éloigné de toute connotation liées au mouvement et pour ma part, je pense que cela est un problème. Je ne veux pas par là réduire toute musique à une notion « simpliste » de mouvement, de danse, mais nous sommes tous en mouvement permanent, la musique est du mouvement et ce quelques soit l’époque, l’esthétique. . .
Je ne pense pas que l’on puisse analyser une œuvre sans le mot même de mouvement, après avoir appris à chanter, nous devrions tous savoir danser ou au moins avoir conscience de notre propre danse intérieure.
5] Du regard
Il y aurait malgré tout quelque chose avant le geste, le mouvement donc en contradiction avec mon préambule, avant tout, il y a le regard sur ce qui nous entoure, avant d’entendre le monde qui est autour de nous, de réagir à ce que l’on entend, nous le voyons. . .. Un créateur est quelqu’un qui avant tout voit, qu’il soit musicien, plasticien, dan- seur écrivain ou autre. . .
C’est ce que nous essayons de faire au quotidien, rester éveillé, voir au sens ou Bram Van de Velde le disait, cela pour lui, signifiait plus dévorer des yeux les choses, se les approprier plutôt que de les regarder passer. Donc pour moi, voir serait la première qualité d’un musicien, la deuxième étant la curiosité, le reste c’est du business.
Je pense que nous ne sommes qu’au début de ces recherches, il est clair que ces nouvelles lutheries, comme cela a été le cas avec Schaeffer et la musique concrète, vont donner naissance à de nouveaux langages, qui iront de plus en plus dans le sens d’une interaction entre mouvement, son et image, d’une certaine façon, un retour au cadre traditionnel, musique et danse. . .
Il est dans le même temps important de ne pas laisser ces nouveaux instruments gérer eux-même la création, avec toutes leurs possibilités. . .
Cela demandera de la part des compositeurs, une grande maîtrise de ces outils n’ont pas pour les exploiter à leur maximum mais au contraire pour qu’ils sachent les contraindre afin que ceux-ci res- tent des instruments à part entière.
Ce sera à l’interprète de faire en sorte de ne pas être là pour jouer de l’instrument, mais, en jouer, je pense que la pérennité de ces instruments dépen- dra beaucoup de ce regard croisé de l’interprète et du compositeur sur l’instrument.
Que ce geste, ce mouvement redevienne finale- ment un langage universel langage de reconnaissance , de regards et de communication, qu’il reprenne sa place dans nos démarches individuelles. . .
6] Conclusion
Pour finir, je souhaiterai citer cette phrase de William Faulkner :
Interview de WILLIAM FAULKNER dans « Paris Re- view » 1956
F : Le but de chaque artiste est d’arrêter le mouvement, qui est la vie, avec des moyens artificiels, et de l’immobiliser de telle manière que, cent ans plus tard, quand un inconnu l’observera, cela se remette en mouvement parce qu’il y a vie. Du moment que l’homme est mortel, l’unique im- mortalité qui lui est accessible consiste à laisser derrière lui une chose immortelle parce que tou- jours en mouvement. C’est le moyen pour un artiste d’écrire « Kilroy est passé par ici » sur le mur de l’oubli final et irrévocable qu’un jour il devra traverser.
©jean.geoffroy-2006